dimanche 10 juin 2012
Des Francs-Maçons parmi les ambassadeurs de l'Islam Mystique
Henry Corbin et René Guénon
Louis Massignon, Henry Corbin, René Guénon, Frithjof Schuon...Quelques Européens dont des francs-maçons (Corbin, Guénon..) ont consacré leur vie à faire entendre la dimension universelle de l'Islam.
Si les Européens du Moyen-âge ont le plus souvent vu dans la religion musulmane une manifestation satanique, le Siècle des Lumières contribua à l'apparition d'une vision plus positive. Goethe consacra au prophète de l'Islam son premier grand poème (Mahomets Gesang, 1773), avant de rédiger son Divan à l'orientale en s'inspirant du persan Hafez. Bonaparte vouait une admiration sincère à cette religion sans mystère ni cléricature ainsi qu'à son prophète inspiré et conquérant; ce qui détermina pour une bonne part sa politique musulmane pendant la campagne d'Égypte en 1798-99.
Mais l'accès à une connaissance plus profonde de la religion musulmane fut l'œuvre d'orientaliste et d'écrivains engagés. En premier lieu Louis Massignon, jeune orientaliste agnostique et dandy, qui entreprit en 1907 une thèse sur Hallâj, le martyr de la mystique musulmane (exécuté en 922). Fait prisonnier par la police ottomane au cours d'une expédition archéologique en Irak en 1908, accusé d'espionnage et menacé de mort, il vécut en une nuit une conversion religieuse radicale et paradoxale: devenu catholique fervent, il se consacra désormais à l'exploration d'une spiritualité musulmane vis-à-vis de laquelle il se sentait redevable. Professeur au Collège de France, il publia une œuvre scientifique considérable (environ huit cents titres), et intervint de façon militante dans diverses crises où la France se trouvait engagée face au monde musulman (Syrie, Maroc, Algérie).
Son impact fut particulièrement profond auprès du public catholique : il ne se borna pas seulement à promouvoir un dialogue islamo-chrétien actif, mais réaffirma la valeur universelle du message musulman. Être chrétien ne consistait pas pour Massignon à valoriser une vérité dogmatique excluant les autres religions, mais à rechercher l’universelle vérité partout où elle se manifestait : en ce sens, il induisit une manière de révolution au sein du catholicisme. Écouté par de hautes instances au Vatican, il marqua une pléiade d’orientalistes d’envergure (Gardet, Arnaldez, Anawati), de théologiens (Jean-François Six) et d’écrivains (Claudel).
Assez différente fut l’influence exercée par l’œuvre de Henry Corbin (1903-1978), philosophe de formation-il fut le premier, en 1939, à traduire des textes de Heidegger en français- qui avait appris l’arabe et le persan. C’est notamment au contact de Massignon qu’il découvrit la philosophie illuminative en Islam (1929), puis, à partir de 1945, la gnose et la philosophie chiites de l’Iran. Son œuvre écrite aborde certes le chiisme, mais aussi la philosophie d’inspiration hellénistique (Avicenne) et iranienne (Sohrawardi), la mystique proprement dite (Ibn Arabi notamment), l’alchimie, etc. Il rendit accessible au public occidental les voies de l’ésotérisme musulman et de la pensée chiite, qui ressemble à un christianisme où la gnose aurait prédominé sur la théologie des conciles. Il mit également en valeur la dimension visionnaire et onirique de l’expérience mystique, qu’il traduisit par le vocable « monde imaginal » : il ne s’agit plus ici de l’imagination au sens de fantaisie, source de toutes les erreurs, mais d’une perception à part entière qui donne accès à une véritable connaissance du versant métaphysique de la personne humaine.
On se doit par ailleurs de rappeler l’œuvre singulière de René Guénon dont les idées entraînèrent la conversion de plusieurs intellectuels occidentaux.
Frithjof Schuon s’affilia dans les années trente à l’ordre nord-africain de la Shâdhillîyya et diffusa un enseignement de tendance universaliste autour du thème de « l’Unité transcendante des religions » (titre de l’un de ses livres, paru en 1949). Installé d’abord en Suisse, il partit pour les États-Unis où il devint l’un des chefs de fil de la tendance dite « pérennialiste », cherchant à redécouvrir une sagesse primordiale à partir des traditions religieuses particulières.
Plu discret, moins médiatique, le Roumain Michel Valsan (1907-1974), rédacteur et éditeur à Paris de la revue « Études traditionnelles » transmit lui aussi la tradition shâdhilîe, notamment auprès d’Européens convertis. Les groupements qui se réclament de son enseignement sont assez nombreux (quelques dizaines de milliers de personne en France) et soucieux de l’application rigoureuse de la Loi musulmane.
Enfin, la spiritualité musulmane est à présent mieux connue grâce à l’action de maîtres spirituels orientaux qui se sont efforcés d’en traduire le message en terme « modernes ».
Mentionnons, parmi d’autres, Idries Shah (né en 1924). D’origine indo-afghane, installé en Grande-Bretagne, il est l’auteur d’une œuvre fondée notamment sur les paraboles et historiettes souvent humoristiques qui illustrent les doctrines soufies dans la tradition irano-turque. Ses disciples sont nombreux en particulier dans le monde anglo-saxon (parmi eux, l’écrivain Doris Lessing), mais ne sont apparemment pas organisés en une confrérie structurée comme les Shâdhîlîs.
Il est difficile d’imaginer le visage de l’Islam qui se dégagera au XXIème siècle à partir de ces apports composites. Il semble en tout cas que, plus qu’une doctrine, une morale ou des rituels, il offrirait aux Occidentaux un surcroît de lyrisme, de passion, voire de « folie sacrée » dont ils sont mutilés depuis des siècles. Ce serait en tout cas suivre le conseil du grand poète mystique persan, Roumi (+ 1273) :
« Ne demande pas l’eau, demande la soif et les sources se mettront à jaillir du sol et à descendre du ciel. »
Pierre Lory
www.grandorientarabe.org
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Bonjour,
RépondreSupprimerPour celles et ceux qui seraient intéressés par la mystique iranienne, l'oeuvre de Corbin, de Sohrawardi..etc, l'association des amis de Henry et Stella Corbin organise sa 8ème journée en entrée libre:
8e Journée Henry Corbin
« Qu’est-ce que la mystique ? »
le samedi 1 décembre 2012
à l’Ecole Normale Supérieure, 45 rue d’Ulm, 75005 Paris, salle Dusanne
(programme provisoire)
Matinée
9h 30 : Leili ANVAR-CHENDEROFF (INALCO) : « La mystique peut-elle se dire? Le cas de Farid od-dîn 'Attâr »
10 h 30 : Daniela BOCCASSINI (Université de Vancouver) : « De la «Vita Nova» à la «Vista Nova»: le parcours mystique de Dante »
11 h 30 : Daniel DE SMET (CNRS) : « Y a-t-il une mystique ismaélienne ? »
Après-midi
14 h 30 – 17 h : Table ronde sur le thème « Qu’est-ce que la mystique chez Henry Corbin ? », avec Christian JAMBET (EPHE), Daniel PROULX (Université de Louvain), Pierre LORY (EPHE), suivie d’un échange avec le public.