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jeudi 28 avril 2011

SALOMON DANS LES TRADITIONS ESOTERIQUES

SALOMON DANS LES TRADITIONS ESOTERIQUES
La personnalité de Salomon, son existence et sa geste, ses multiples dons de pacificateur, de constructeur, de magicien, auront été repris dans les traditions les plus variées, les domaines les plus étranges. Le fils du roi David apparaît dans les mythes du compagnonnage puis dans ceux de la franc-maçonnerie, développés par les savants oxoniens du XVIIe siècle, comme Elias Ashmole, admis dans une loge opérative, ou plusieurs membres éminents de la Société Asiatique, au XIXe siècle. Peut-être avaient-ils suivi les consignes exprimées par Jung : « Les légendes ont remplacé les outils rationnels : on y recherche les correspondances des personnages et des événements par une étude historique, biblique, l’archéologie, la philosophie dans un souci de l’appliquer à soi-même. La légende, au plan ésotérique, est une composante de la Tradition, une révélation exemplaire et sacrée, constituant un modèle pour la recherche humaine ».

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I – Salomon dans l’histoire

Salomon n’est pas mentionné dans les annales mésopotamiennes. La tradition phénicienne est légendaire, Salomon aurait vendu à l’Etat Tyrien la ville de Khorbat Khozli et la Plaine d’Acre pour 120 talents d’or, et aurait eu recours au professionnalisme d’un bronzier tyrien, Hiram (cf Bible, 1R7, 15-47). Les relations avec l’Egypte, qui de toute façon, à l’époque, était la puissance dominante, et Salomon dut accepter de se placer dans l’orbite politique de ce pays qui imposait la pax egyptica, sont relevées dans la Bible uniquement, même le mariage de Salomon avec la fille du Pharaon Siamoun (976-954) de la XXe dynastie. Une trace littéraire cependant, les Cantiques des Cantiques, ou chant de Salomon à la Soulamite parait influencée par les poèmes d’amour égyptiens de la XVIIIe dynastie (autour de 1500 avant J.C.). Quant au Yemen et à la Reine de Saba, les Sabéens commenceront à être connus hors de leurs frontières au VIIIe siècle avant J.C. seulement.
Des doutes sont émis par les deux spécialistes sur l’authenticité des textes bibliques. Le « Livre des Rois », qui traite abondamment de la construction du palais de Salomon, de celle du temple et de son mobilier, de l’établissement de douze préfectures, quadrillant les territoires s’étendant de l’Oronte ( ?) à Gaza, est rédigé dans une langue tardive qui souligne les additions nombreuses présentant un aspect légendaire ou moralisateur : la sagesse de Salomon par rapport à la conduite désordonnée de ses successeurs (Roboam entre autres), avec le partage entre deux Etats (Juda et Israël), conséquence des fautes de Salomon. Les « Psaumes » attribués à Salomon seraient du Ier siècle avant J.C. et « Le Livre des Chroniques » du 2e siècle avant J.C., puisqu’il met en valeur la préséance de la classe sacerdotale de cette époque. En fait en 63 avant J.C., une fièvre eschatologique se répand en Judée, préfigurant la destruction définitive du Temple (74 après J.C.).

II - Mondialisation de la symbolique salomonienne

A)Dans le domaine religieux

Salomon se trouve présent dans les représentations iconographiques des Chrétiens d’Occident comme d’Orient, dans la fresque de Piero Della Francesca intitulée « La rencontre de Salomon avec la Reine de Saba » ou dans cette église Saint-Clément à Ohrid, en Macédoine (début du XIVe siècle) où autour du Pantocrator on découvre avec Adam, les deux ancêtres de Jésus, le roi David barbu et son fils imberbe le Roi Salomon. Au cours du Colloque, il aura été évoqué le roi de Bretagne Salomon, et Salomon le Savoyard. On connaît le rôle politique des prétendues dynasties salomoniennes en Ethiopie, et la présence constante de Salomon, représenté en Constantin, dans les psautiers ou le rôle qu’on lui fait jouer, associé au roi des forgerons, parfois privé de trône par un démon (source coranique), dans l’art talismanique des sceaux et des étoiles à huit branches dans ce pays.
Les références à Salomon, particulièrement vénéré dans le monde islamique, sont au nombre de 17, dans 8 sourates. S’il n’est pas associé à la construction du Temple, M. L. de Premare a montré cependant que la sourate 52, versets 1 à 8, rappelait le livre des Rois I, 7, 3 et la sourate 36, le Livre de Jérémie. Avant même l’apparition de l’Islam, le poète arabe Dabira fait l’éloge du roi de Hira en le comparant à Salomon. Là aussi, ses dons de magicien, de manipulateur des djinns, reconnus dans le Coran influencèrent les occultistes arabes qui semblent avoir créé le mythe du sceau de Salomon. La plupart des pays musulmans évoquent cette personnalité prophétique, spirituelle, voire magique, comme au Yemen (M. Christian Robin), en Iran (M.Assadallah Melikian-Chirvani), en Afghanistan et à la cour des Empereurs Moghols (Mme Corinne Lefèvre), et en Asie Centrale où M.Thierry Zarcone a recensé les lieux dédiés au fils de David.

B)Dans le domaine du compagnonnage

Dans chaque ville médiévale, s’étaient établies des corporations, chargées de défendre les intérêts professionnels des artisans et ouvriers, et qui étaient dirigées par les « maîtres de métiers ». Parallèlement à ces organismes locaux, des ouvriers itinérants, indépendants, se regroupèrent dans des sociétés compagnonniques (le terme de « frère » pour cet emploi était apparu dès 842), qui établirent des règles strictes garantissant la défense mais aussi la compétence de ses membres. Le terme de « compagnonnage » était apparu dès 779 et les différentes promotions dans les corps de métier s’effectueront par initiation tenue à l’abri des regards étrangers. Le « Compagnon Fini » est celui qui a passé toutes les épreuves et est devenu « maître » dans sa profession. Le terme apparaît en 1080, celui d’apprenti en 1175. Les apprentis et les compagnons font l’objet d’un enseignement initiatique basé sur des légendes tirées de la Bible. Ainsi des chérubins (ceux qui gardent l’entrée du devir, le lieu le plus secret du temple de Jérusalem) sont sculptés sur le couvercle du cercueil des compagnons menuisiers. Le patronage de Saint Jean Baptiste est également invoqué en liaison avec le « Quatuor Coronati », quatre tailleurs de pierre exécutés par Dioclétien vers 300. Les confréries qui apparaissent à la fin du XIIIe siècle conservent une orientation professionnelle en même temps que charitable, dans l’esprit catholique également.
Les textes fondateurs du Compagnonnage sont disséminés dans 130 manuscrits rédigés aux XIIIe et XIVe siècles et que la revue de la Grande Loge de Londres, « Ars Quatuor Coronatorum » a publiés.
Ainsi, en 1268, « Le Livre des Métiers » d’Etienne Boileau recense cent un métiers, et la promotion interne qui les gère, soit les apprentis, les compagnons et les maîtres. La construction des cathédrales s’appuie sur trois métiers principaux, les tailleurs de pierre, les menuisiers et les forgerons ; leurs membres se réunissent dans des « loges », installées, soit dans la crypte des cathédrales, soit dans un bâtiment annexe comme à Strasbourg. En 1283, Louis IX nomme Grand Maître de la maçonnerie opérative son compagnon croisé Guillaume de Saint-Petbus. Les membres de cette maçonnerie opérative, appelés parfois « gavots » adoptent le nom de « Enfants de Salomon » (comme le signale Villard de Honnecourt à l’époque). C’est que pour eux, la construction d’une cathédrale est une réplique de la construction du Temple de Jérusalem. Le document appelé « Regius » (1390) décrit les sept « arts libéraux » et a comme titre « Ici commencent les statuts de l’enseignement de la géométrie selon Euclide » . « Géométrie » a le sens de « maçonnerie ». On enseigne aux apprentis que la « géométrie » a été préservée du déluge, retrouvée par Hermès, petit-fils de Noé, et qu’elle a été révélée à Charles Martel, dont un des architectes de la cour aurait participé à l’édification du temple de Jérusalem. Ainsi le mythe de Salomon se trouve adopté par la philosophie compagnonnique.
Le Mouvement va connaître un certain nombre de scissions. En 1400, à Orléans, au moment de la reconstruction d’une des tours, un affrontement entre compagnons et moines surgit, et les « indépendantistes » prennent le nom d’Enfants de Maître Jacques (référence au Grand Maître des Templiers, Jacques de Molay ?) ou « Compagnons du Saint-Devoir de Dieu » tandis que les catholiques fervents s’intitulent « Enfants du Père Soubise (référence à un bénédictin du XIIIe siècle ou à un « maître artisan » de Salomon) ». En 1404, le roi Charles V réforme les corps de métiers parisiens relatifs aux compagnons maçons et charpentiers. Un autre texte constitutif des « anciens devoirs » paraît en 1410 sous le titre de « Manuscrit Cook ».
Au XVIe siècle des intellectuels comme François Rabelais (1483-1553) ou des inventeurs comme Bernard Palissy (1510-1590) vont être reçus en loge opérative comme « maçon accepté ». Dans le « Tiers Livre », Rabelais évoque la légende de Renaud de Montauban, qui aurait tué un neveu de Charlemagne, et se serait réfugié sur le chantier de la future cathédrale de Strasbourg. Il se serait conduit comme un excellent ouvrier, mais victime de la jalousie de ses collègues, aurait été assassiné. Ce thème sera repris dans la maçonnerie du XVIIIe siècle avec l’allusion au meurtre d’Hiram, l’architecte en chef de Salomon.
Au XVIIe siècle, s’instaure une tradition écossaise de la maçonnerie opérative, particulièrement à Kilwinning. Un ouvrage polémique « Le Mot du Maçon », publié en 1637 décrit la forme primitive de ce rite maçonnique. On sait que la maçonnerie spéculative écossaise jouera un rôle important dans le développement de la maçonnerie française avec l’exil des partisans de la dynastie Stuart en France.
En 1646, à Oxford, Elias Ashmole (1617-1692) alchimiste célèbre, est également initié à la maçonnerie opérative, et plusieurs personnalités scientifiques oxoniennes joueront un rôle dans la création de la Grande Loge de Londres, à laquelle appartiendront 24 membres de la fameuse « Royal Society ».
A Perth, en 1658, les diplômes de maître maçon (« freeman ») et de compagnon de métier font référence au « Temple de Salomon », comme source des métiers. A la fin du siècle, à Aberdeen, on voit sur les tableaux de deux personnalités de la ville, Alexandre Petersen, diacre, et président de la Corporation d’Aberdeen, et Patrick Whyte, maître-serrurier, qu’ils sont peints, entourés des deux colonnes symboliques du Temple de Salomon.
La Franc Maçonnerie spéculative va emprunter un certain nombre de références aux métiers et aux héros mythiques des « Anciens Devoirs » du Compagnonnage. Dans les Constitutions d’Andersen (voir plus loin), sont mis en parallèle « l’architecte » pour son travail théorique et le « tailleur de pierres » pour son travail manuel. Les appellations d’ « apprenti » et de « compagnon » sont conservées. Les instruments de métier sont reproduits sur le « tableau de loge » (dessin d’abord reproduit à la craie, sur le sol, puis sur un tapis mobile) : l’équerre, évoquant la croix (serment de l’apprenti), le compas du Maître de Loge, la truelle « pour cacher les défauts des frères » ; le fil à plomb (échelle de Jacob), la règle (loi morale de la Franc-Maçonnerie), le niveau (égalité fraternelle) sont mentionnés dans la Bible.
Quant aux trois éminentes personnalités associées à la direction d’une loge, Salomon, Hiran roi de Tyr, et Hiram l’Architecte, elles seront le legs du compagnonnage à la maçonnerie spéculative naissante.


C) Dans le domaine de la Chevalerie

Charlemagne, lui aussi aurait été perçu comme un nouveau Salomon. A son époque, la Bretagne (on l’a vu plus haut) sera fière de son roi Salomon, béatifié par la suite.
Les Chansons de geste vont magnifier le mythe du Graal, apparu vers 1180, avec le Roi Arthur et les Chevaliers de la Table Ronde.
Chrétien de Troyes, poète de la Cour de Champagne, crée le mythe d’une chevalerie légendaire avec ses héros Lancelot, Perceval, Eric, ainsi que Wolfram von Eschenbach (1210) avec son Parzival, dont le genre de vie et les aventures ont été analysées récemment en liaison avec les rois éponymes iraniens. Cette tradition va être adoptée au moment des Croisades par les Ordres Chevaleresques, les Chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem qui donneront naissance à l’Ordre de Malte, et dont le mythe survivra dans les loges dites de « Saint-Jean », les Chevaliers Teutoniques (créés en 1112 à Saint-Jean d’Acre) et dont la Stricte Observance Templière Allemande au XVIIIe siècle constituera la version maçonnique, et les Chevaliers du Temple, symbole de confraternité universelle, dont plusieurs, au moment de leur persécution en France, se réfugieront auprès des Compagnons du Devoir. Ramsay, maçon écossais, attaché aux Stuart, dans un discours célèbre de 1736 rappellera l’antériorité de ces Ordres médiévaux (« Nos ancêtres les croisés voulurent réunir dans une seule confraternité les sujets de toutes les nations ») par rapport à la Franc-Maçonnerie qui adoptera dans son « Rite Ecossais Ancien et Accepté » le principe du Templier, porteur de truelle et d’épée, et institutionnalisera dans les grades supérieurs les plus élevés le titre de « Chevalier Kadosh » (sanctifié), même si des mises en garde officielles relativiseront ces emprunts : « Notre grade commémore l’Ordre Templier et s’en inspire sans pour autant prétendre en être le continuateur et l’héritier », pourra-t-on lire dans la littérature maçonnique.
En tout cas, la franc-maçonnerie française s’ouvrira de fait à la haute noblesse, attentive à l’esprit chevaleresque. Le premier Grand-Maître français sera le duc d’Antin, en 1738, le deuxième le comte de Clermont en 1743. Le pouvoir ne tracassera presque pas la maçonnerie. En 1789, cette dernière comptera 629 loges et 30 000 maçons auxquels il convient d’ajouter les loges d’adoption féminines, dont la Grande Maîtresse sera la Duchesse de Bourbon. Une enquête portant sur la recension de 268 maçons en 1780 dénombrera parmi eux 78 % appartenant au Tiers-Etat, 18 % à la Noblesse et 4 % au Clergé.

III – Textes constitutifs de la Franc-Maçonnerie

L’intention de l’auteur n’est bien sûr pas de dévoiler des secrets déjà publiés d’ailleurs dans toutes sortes d’ouvrages destinés au grand public mais d’examiner l’instrumentalisation du mythe de Salomon, telle qu’on la découvre, comme on l’a vu, dans la structure initiatique opérative du compagnonnage, et comme on va le voir dans la structure initiatique philosophique de la Franc Maçonnerie. Patrick Négrier, David Stevenson, après Mircea Eliade, sont en mesure de nous apporter sur ce terrain des ouvertures très précieuses.
Tout d’abord, il semble que la tradition hermétique écossaise, évoquée plus loin, ait parfois conduit à une ambiguïté sémantique . En effet l’ancien nom d’Ecosse, « Calédonie » a été rapproché abusivement de « Chaldée », sans doute par référence biblique et l’utilisation de personnages historiques iraniens comme Cyrus dans le rituel des hauts grades ; il ne faut pas oublier qu’à l’élaboration des rituels maçonniques participaient des intellectuels latinistes et hellénistes, mais aussi des chercheurs qui avaient pu lire les récits de voyage en Orient et s’étaient intéressés à l’histoire de l’Orient ancien et moderne. Ramsay lui-même écrivit un ouvrage consacré à Cyrus.
Cette tradition « calédonienne » en tout cas rappelait que trois « degrés » d’initiation avaient été préservés depuis l’antiquité, un niveau opératif, celui des artisans, le niveau spéculatif des druides, enfin le niveau hermétique de l’architecture sacrée, dont un représentant illustre était Vitruve, qui avait été le maître à penser de Marc Aurèle. La référence à l’écossisme se retrouvait tout au long du Moyen Age avec Clément Scot, conseiller de Charlemagne, Jean Scot Erigene, conseiller de Charles le Chauve, Michel Scot de l’empereur Henri II, et un autre Michel Scot, conseiller de l’Empereur Frédéric II.
Dans le texte de ses « Constitutions » (1723), évoquées plus haut, Andersen décrit de manière lyrique le Temple de Salomon : « Celui-ci fut commencé et achevé, à l’étonnement du monde entier, dans le court espace de temps de 7 ans et 6 mois, par cet Homme très sage, ce très glorieux Roi d’Israël, ce Prince de la Paix et de l’Architecture que fut Salomon, fils de David ». Une description de plusieurs pages va suivre et l’auteur va directement relier la tradition salomonienne à la franc-maçonnerie « De sorte qu’après l’édification du Temple de Salomon, la Maçonnerie fut améliorée dans toutes les nations voisines, car les nombreux artistes employés par Hiram Abif se dispersèrent, après son achèvement, en Syrie, Mésopotamie, Assyrie, Chaldée, Babylone, chez les Mèdes, en Perse, Arabie, Afrique, Asie Mineure, en Grèce et dans les autres pays d’Europe où ils enseignèrent leur Art libéral aux Fils nés libres des Personnages éminents…Mais pas une nation, seule ou unie aux autres, ne pouvait rivaliser avec les Israélites, et encore moins les surpasser en Maçonnerie ; et leur Temple resta le constant modèle ».
Les Constitutions d’Andersen n’évoquent que les deux premiers grades de la Maçonnerie, apprenti et compagnon. Il semble que ce soit vers 1725 que pour parachever la hiérarchie des grades, on introduisit un troisième degré, celui de « Maître » ; c’est ce qui ressort d’un ouvrage polémique publié, à Paris, en 1726, sous le titre « Le Maçon Antédiluvien ». Le mythe salomonien de la construction toujours renouvelée du Temple bénéficie de la présence de l’architecte du temple, Hiram, dont le nom est en tout cas cité dans le Livre des Rois.
Il faut dire que l’institution maçonnique introduit dans son rituel le mythe du meurtre fondamental traditionnel. En Egypte, le meurtre d’Osiris, en Phénicie de Melqart (le roi Hiram de Tyr aura fait construire un temple à Melqart), à Rome entre Romus et Romulus, souligne le thème de la lutte du bien contre le mal. Mais le concept était déjà présent dans le compagnonnage. Un document d’Edimbourg de 1696 parle du « relèvement du cadavre d’Hiram par les cinq points du compagnonnage ». Les « cinq points » correspondaient aux « cinq points » du calvinisme tels qu’ils avaient été adoptés par le Synode de Dordrecht (1618-1619). Le catéchiste Graham avait souhaité assimiler les rois d’Angleterre des XVIe et XVIIe siècles à Salomon, Hiram représentant la communauté calviniste. On avait là une implication conjoncturelle.
Le 3e degré de la maçonnerie va donc expliciter les différentes fonctions de Salomon, du roi de Tyr Hiram, et de l’architecte Hiramabi, et annoncer les degrés suivants, dits de « perfection », de tradition salomonienne et qui vont apparaître vers 1738. Le rituel de loge sera dorénavant inspiré par le meurtre d’Hiram, comme l’indique le Manuscrit Wilkinson (1730) : « La loge est un carré long. C’est la forme de la tombe de notre Grand Maître Hiram ». La loge reconstitue le chantier du temple de Jérusalem, et celui qui la préside est un Hiram ressucité.
L’Hiram de la Bible apparaît donc dans le « Livre des Rois et les Chroniques ». Salomon (II Chroniques II, 2) s’adresse à Hiram roi de Tyr pour lui expédier des cèdres. Ce dernier lui répond : « Je t’envoie un homme sage, possédant l’intelligence, Hiram Abi ». Dans le « Livre des Rois » (VII,13-14), on apprend qu’Hiram Abi est fils d’un Tyrien et d’une Juive, qu’il érigera les deux colonnes de cuivre Jakin et Boaz devant l’entrée du Temple, qu’il construira la « Mer d’Airain » (bassin des ablutions) et qu’il terminera tous les travaux ». Mais il n’est pas mentionné dans le texte biblique qu’il était architecte et qu’il fut tué.
Dans la légende d’Hiram adoptée par la tradition maçonnique, Hiram devient le prototype de l’homme juste, fidèle au devoir jusqu’à la mort. Il refuse en effet de livrer des secrets à trois contremaîtres du chantier du Temple qui veulent être promus le plus vite possible, et il est assassiné par ces trois « mauvais compagnons », que douze autres contremaîtres poursuivront et tueront également. Bien sûr, dans l’esprit religieux de l’époque, existait une corrélation entre Hiram et Jésus, condamné par trois personnages, Caïphe, Hérode et Pilate. Cet assassinat d’autre part préfigure négativement la destruction du Temple, mais aussi positivement, la nomination d’un nouveau maître. Sur le tableau de loge, au grade de maître, figurent un crâne représentant le drame du Golgotha et le meurtre d’Hiram, et des larmes exprimant le repentir de Pierre et le chagrin de l’injuste destinée d’Hiram.
Ces interprétations et ces rapprochements considérés comme hasardeux de symboles religieux et philosophiques conduit Rome à publier, en 1735, une bulle antimaçonnique « In Eminenti » reprochant aux participants catholiques en loge de fréquenter des non-catholiques, et regrettant la présence d’ecclésiastiques dans ces réunions. En 1781, l’évêque de Grenoble Mgr de Bouteville est ouvertement franc-maçon, et la loge « La Parfaite Union de Rennes », en 1785, compte qu’un cinquième de ses membres est composé de religieux. M.Thierry Zarcone a d’ailleurs montré que même des musulmans avaient été initiés dans des loges européennes.
Comme nous l’avons vu plus haut, et grâce à Ramsay, le personnage de Cyrus sera instrumentalisé dans le rituel maçonnique dans les hauts grades . Le 15e degré évoque la Cour de Cyrus et le 20e degré lui donne un rôle important. C’est que le Roi Perse, en libérant les Israélites de Babylonie, permettra la construction du deuxième Temple de Jérusalem (cf les livres d’Esdras et de Néhémi dans la Bible).
Ces hauts grades, établis par Etienne Morin en 1761, dans le cadre du Rite Ecossais Ancien et Accepté, seront au nombre de 33. Ils vont à plusieurs reprises évoquer l’action mythique du roi Salomon.

IV – Le mythe de Salomon dans la franc-maçonnerie

Salomon apparaît dans plusieurs livres de la Bible, outre les Chroniques et le Livre des Rois, dans le Livre des Proverbes, le Cantique des Cantiques, l’Ecclesiaste, la Sagesse, les Psaumes. Ce sont ses connaissances scientifiques qui sont soulignés : la phytologie (La Sagesse 4, 4-5 ; 6, 15), la zoologie (Proverbes 6, 6-11 ; 26, 11 ; 28, 15 ; l’Ecclésiaste 3, 19-21 ; 9, 12 ; La Sagesse 5, 11), la cosmologie et l’astronomie (l’Ecclésiaste 1, 7 ; 3, 1-8 ; 11, 3 ; La Sagesse 2, 2-5 ; 19, 18-21 ; les Proverbes, 25, 23). Ainsi que son approche philosophique (1 Rois 5, 13 ; La Sagesse 7, 15-21) par le symbolisme des sept planètes errantes.
La Bible le fait voir en homme sage, voire exemplaire par son don du discernement afin de juger équitablement et son esprit de tolérance puisqu’il autorisera, à la fin de son règne, la pratique des cultes de ses épouses, moabites, hittites ou sidonites. Ce qui entraîne le problème de la responsabilité, cher aux francs-maçons. Son nom en hébreu Schlomo est à rapprocher de Shalom, paix, qui génère un état d’harmonie et de prospérité ; le Coran reprendra ce thème de correspondance entre « Suleyman » et « Salam » (la paix). A un plan supérieur, il est hissé au niveau de « prophète » (comme dans le Coran), les commentateurs rappelant qu’il n’y a pas d’autre prophète déclaré vivant à son époque. Certains ont pu le comparer à Jésus (cf Nathan, 2 et Samuel 7, 14) : « Je serai pour lui un Père, dit Yahvé, et lui sera pour Moi un fils », et dans les Psaumes 2, V ; 7, on lit ces autres paroles de Yahvé qui lui sont adressées : « Tu es mon fils, Moi aujourd’hui, Je t’ai engendré ».
Le rôle de bâtisseur de Salomon est aussi souligné à l’occasion de l’érection du Temple de Jérusalem (1 Rois 10, 1) qui prit 77 mois et dont la façade aurait imité le modèle fourni par les anciennes huttes des bergers mésopotamiens comme la famille d’Abraham. La Genèse (33, 17) parle de hutte « bâtie » par Jacob, et si l’Exode est présenté comme une quête de pâturage, la construction d’un Temple pour abriter l’Arche d’Alliance jusque là itinérante, souligne la sédentarisation des Hébreux (en arabe « Aber », celui qui parcourt les espaces, comme toutes les langues sémitiques). Sur une terrasse de 110 mètres de long sur 88 mètres de large, l’édifice aura 33 mètres de long, 11 mètres de large et 16,5 mètres de hauteur. Les rochers qui affleurent servirent d’autel des sacrifices pour les trois temples successifs ; ils seront recouverts par la « Coupole du Rocher » par le Calife Abdelmalek (685-691) et réintroduits dans l’imaginaire musulman avec l’empreinte d’un pied attribué à Mohammed au moment de son ascension céleste. Ce temple sera détruit en 586 avant J.C. par les Perses ; un deuxième temple sera érigé par Zorobabel en 450 avant J.C.. Ezechiel aura été missionné pour décrire le temple de Jérusalem aux Juifs de Babylone, insistant sur sa représentation du personnage créateur, du cosmos et de chaque être humain, notions instrumentalisées par les Francs-Maçons dans leur loge. Le troisième temple sera construit par Hérode le Grand, détruit par Titus en 70, et rasé par Hadrien en 135 de notre ère.
Dès le grade d’apprenti, la symbolique du Temple de Jérusalem apparaît dans le vestibule qui leur est réservé, rappelant les 15 marches extérieures du temple, le « heykal » ou partie centrale, où s’assemblent les maçons, et que l’on considère comme « centre du monde », transformable parfois au niveau des Maîtres, en « Dévir » ou « Chambre du milieu ». L’architecture intérieure et le mobilier, évoqués dans la Bible sont présents dans la loge , les deux colonnes du temple encadrent le « dévir », le tableau de loge symbolise les marches d’entrée du Temple, les fenêtres à cadres et à grilles ; la pierre rappelle le 1er Livre des Rois (V,32) : « Les maçons de Salomon, de Hiram et les guiblins (de Byblos) équarissaient et façonnaient le bois et la pierre pour l’édification du Temple » ; les grenades figurant sur le chapiteau des colonnes représentent, comme l’indique Patrick Négrier « la multiplicité des principes comportant l’Etre », le chandelier (ménara) à sept branches (cf Genèse, 1, 11 à 13) et enfin le pavé mosaïque évoquant la terre sainte du Sinaï.
Salomon est souvent présent dans le rituel maçonnique ; s’il clôt le premier des cycles de l’initiation, il ouvre les degrés dits salomoniens. Au 4e degré, la loge est présidée par Salomon, au Rite Ecossais Ancien et Accepté, et la Bible, présente sur « l’autel » est ouverte au premier livre des Rois ; les maçons déplorent la mort d’Hiram. Au 6e degré, Salomon et Hiram président les activités de la loge, et par une référence souchée sur le Livre des Rois (LX 11 à 13), Salomon pardonnera à un visiteur curieux, en fait l’impétrant, d’être venu s’informer en toute bonne foi. Au 8e degré, Salomon recherche un responsable pour le nommer à la tête des cinq ordres d’architecture. Les 9e, 10e et 11e degrés décrivent des rites de vengeance décidés par Salomon. La légende développée au 13e degré où le Président représente Salomon a été décrite dans le « Manuscrit Francken », présenté en France, comme on l’a vu plus haut, par Etienne Morin, en ces termes : « Ce roi vertueux (Salomon), supposant qu’avant le Déluge un temple avait peut-être été érigé sur ce lieu, et craignant que ce ne fût au culte de quelque faux dieu… ne voulut pas le construire là. Il partit donc et choisit la plaine d’Arunia (ou « Ornan »). C’est la légende du temple souterrain d’Henoch que reprendra le texte du rite maçonnique. Le président de loge représente encore Salomon au 14e degré. Au 27e degré, le mot de passe sera encore « Salomon ». Ainsi ce dernier apparaît comme garant symbolique de la maîtrise sans défaut, du secret, et de l’influence spirituelle de celui qui, élu par ses pairs, dirige une loge maçonnique.


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Cette instrumentalisation européenne de ce personnage biblique de Salomon, dans les rites initiatiques, d’abord compagnonniques, puis chevaleresques, puis maçonniques, ne diffère pas,dans un triple rôle mis en valeur par la Bible, de roi, de prophète et de grand prêtre, de ce qu’il peut représenter dans des cérémonies exclusivement religieuses, comme l’ont montré plusieurs intervenants spécialisés dans d’autres régions du monde, asiatiques et africaines. En tout cas, la remarque de Jung « On ne fabrique pas un symbole, on le découvre », s’applique bien à l’appropriation, par les sociétés initiatiques, du mythe salomonien.

Christian Lochon

mercredi 27 avril 2011

La Franc-Maçonnerie arabe joue t-elle un rôle dans les révolutions actuelles du Printemps Arabe ?

La Franc-Maçonnerie arabe joue t-elle un rôle dans les révolutions actuelles du Printemps Arabe ?
Peu présente dans presque tout les pays arabes ou elle est interdite (sauf au Liban, Jordanie, Maroc), alors qu’elle était omniprésente avant les années 1950 et que ses membres sont derrière le Mouvement de la Nahda au début du 20ème siècle, elle a su comme tout ceux qui sont à l’origine des révolutions actuelles faire passer ses messages sur Internet et sur Facebook à travers le site du Grand Orient Arabe Œcuménique (1) consacré à « L’Orient Maçonnique » et qui est administré par son Grand Maître Mondial Jean-Marc Aractingi.
Cette Obédience a depuis longtemps alerté les régimes arabes que pour lutter contre l’instrumentalisation de l’Islam, les gouvernements musulmans devront séculariser le code de la famille, le statut personnel
(qui interdit à un non musulman d’épouser une musulmane), l’enseignement public et une grande partie de la jurisprudence liée par la Constitution à la charia, lecture traditionaliste depuis le IXe siècle de l’application à une société qui n’existe plus de principes juridiques sacralisés et désuets. Aussi les régimes autoritaires de la plupart des États musulmans imposent à leurs citoyens la momification de la pensée, l’immobilisme des institutions, l’aliénation des droits de l’homme et de la femme, la répression des libertés religieuses (croire ou ne pas croire) et individuelles (accès non censuré aux mass media internationaux et à l’Internet entre autres).

Alors que l’on souligne constamment le danger islamique qui menace l’Europe et le monde libre, pratiquement rien n’est dit des francs maçons, qui, malgré un danger permanent dans leur propre pays, essaient de lutter contre l’intégrisme exacerbé de certains de leurs compatriotes. Eux sont à même de démonter le mécanisme de ce faux retour aux sources, prétendant idéaliser le régime musulman des premiers temps de l’islam et le réintroduire dans nos sociétés modernes comme palliatif de tous les problèmes socio-économiques actuels

En fait, la séparation du politique et du religieux s’est effectuée dès les premiers temps de la propagation de l’islam. Ainsi les califes omeyyades déléguaient à des clercs spécialisés la gestion des affaires religieuses ; les califes abbassides s’en remirent à des sultans d’origine turque ayant pris la tête de mercenaires immigrés pour ce qui émanait du politique en se faisant reléguer dans le domaine religieux ; les sultans ottomans feront de même en créant un corps d’oulémas seuls compétents dans la jurisprudence, les affaires de statut personnel et bien sûr la gestion du religieux.

Cette manière de gouverner se rapproche d’une conception laïque à l’européenne .La laïcité n’est pas le monopole de la civilisation occidentalo-chrétienne car, dit Georges Corm, « les principes essentiels de l’islam ont un contenu libérateur et constituent l’essence de la laïcité ; cette laïcité implique la notion de neutralisation de l’État dans les affaites religieuses mais non la marginalisation de la religion dans la vie sociale. C’est le principe de laïcité qui protège les minorités »( Le Proche-Orient Éclaté , Folio Gallimard 1999) .En Irak et en Syrie, le Parti Baath fondé vers 1930 par trois intellectuels syriens, un alaouite, un sunnite, un chrétien orthodoxe, proclamait : « La religion pour Dieu et la patrie pour tous »

Les contestataires actuels des régimes confessionnellement orientés au Moyen-Orient et au Maghreb sont des intellectuels arabes et francs-maçons; ils ont des projets de société portant sur l’émancipation féminine, la liberté religieuse et bien sûr sur la démocratie. Ils citent le publiciste égyptien des années 1920 Salama Moussa qui disait : « Après avoir chassé les colonisateurs, soumis les exploiteurs, serons nous capables de vaincre le Moyen-âge dans notre vie ? » ; son disciple actuel Mahmoud Al Alem s’écrie à son tour : « Nous pensons toujours avec une terminologie archaïque qui correspond à la vie du désert. »

Mais les francs-maçons arabes ne peuvent s’exprimer dans leur pays ni les universitaires. Ainsi du Pr Nasser Abouzeyd, de l’Université du Caire qui publia Critique du discours religieux dont le contenu était dispensé dans ses cours avec un très grand succès ; ses collègues jaloux le traduisirent en justice et sous le prétexte qu’il était devenu apostat ,obtinrent du tribunal qu’il soit obligé de divorcer de son épouse, restée musulmane ;le Gouvernement égyptien le recommanda aux structures universitaires étrangères pour qu’il enseigne en Espagne puis aux Pays-Bas avec son épouse hispanisante. Cette hypocrisie générale et le recul des autorités politiques devant les exigences des islamistes poussent les universitaires les plus compétents à l’exil. Le Pr Abouzeyd avait déclaré que la lecture actuelle du Coran est une lecture politique, donc instrumentalisée et viciée par les pouvoirs en place et qu’il était nécessaire d’introduire dans l’exégèse coranique une dimension historique, lexicale, épistémologique, comme cela s’est fait pour la Bible à la fin du XIXe siècle.

Menant un combat similaire, le Pr Mohamed Chérif Ferjani (Université de Lyon II), dans son ouvrage Islamisme Laïcité et Droits de l’homme (L’Harmattan, 1992), réfute les conceptions d’un islam particulièrement antinomique avec la liberté, l’égalité et la laïcité et montre que les obstacles à l’adoption de ces principes dans les sociétés arabo-musulmanes sont de même nature que ceux qu’on rencontre dans d’autres aires culturelles.

Déjà, dans le domaine scolaire, certains États arabes essaient de réformer les manuels d’instruction religieuse qui sont en général très conventionnels et fermés au dialogue interreligieux ; ainsi le nouveau manuel tunisien de la classe de première (l’enseignement religieux est une matière d’examen dans tous les baccalauréats des pays arabes) souligne la nécessité d’institutions étatiques laïques pour un bon fonctionnement de la société arabe .Ce manuel indique aussi que l’homme naît libre et que la liberté inclut la liberté politique, la liberté de pensée, voire même la liberté religieuse .

Au Liban, on a été plus loin encore ; des diplômés libanais de l’Université libre de Bruxelles, connue pour sa défense de la laïcité ont créé « l’Association pour un Liban laïque » et ouvert à Beyrouth une « Maison laïque ». Différentes rencontres y sont organisées, activités culturelles et conférences tendent vers un but : promouvoir un État laïque alors que 18 communautés confessionnelles sont reconnues et représentées au Parlement par des députés appartenant obligatoirement à l’une de ces communautés ; le premier résultat obtenu a été la suppression de la mention obligatoire de l’appartenance religieuse sur les registres d’état-civil et les cartes d’identité .Un colloque belgo-libanais s’est déroulé en août dernier sur les thèmes l’Université libanaise entre pluralité et laïcité ou Le mouvement laïc au Liban ; la presse s’en est fait l’écho . Il est vrai qu’au Liban des élèves de toutes confessions fréquentent les lycées de la Mission Laïque Française de Beyrouth, de Tripoli ou de Nabatiyeh (en milieu chiite d’expatriés en Afrique de l’Ouest).

Les femmes commencent également à se mobiliser avec beaucoup de courage ; ainsi une psychiatre syrienne vivant aux États-unis, Wafaa Sultan s’était rendue célèbre dans une émission consacrée à la responsabilité de l’islam intégriste dans le choc des civilisations produite par la chaîne populaire du Qatar, Al Jezirah, le 21février 2006. Elle avait été confrontée à un ouléma égyptien qu’elle ne ménagea pas du tout en ces termes : « le choc mondial n’est pas un choc de civilisations ou de religions, c’est un choc entre une mentalité qui appartient aux temps médiévaux et une autre qui appartient au 21e siècle ; c’est un choc entre la liberté et l’oppression, entre la démocratie et la dictature, entre ceux qui traitent les femmes comme des bêtes et ceux qui les traitent comme des êtres humains ». Et elle répliquait à son adversaire qui l’avait traitée d’ « hérétique » : « Je ne suis pas une chrétienne, une musulmane ou une juive. Je suis un être humain laïc, je ne suis pas tenue de croire au surnaturel, mais je respecte le droit des autres à y croire » .Ce débat télévisé suivi par plus de dix millions de téléspectateurs dans le monde entier et repassé en boucle valut à Wafaa de recevoir des menaces de mort. Mais elle persista et elle a créé un mouvement d’opinion qui n’hésite plus à s’exprimer sur la place publique ; d’où la radicalisation d’émules d’Al Qaïda qui ne voient que dans le combat violent la possibilité de freiner l’évolution naturelle d’une société qui renouvelle ses valeurs et exige plus de libertés.
Le Grand Orient Arabe Œcuménique a su attirer vers lui ces intellectuels arabes et son site a vu son audience augmenter de façon significative depuis les révolutions arabes (180.000 visiteurs en 2 ans d’existence et le nombre de tunisiens, égyptiens, syriens, émiratis.. ne cesse d’augmenter (de 300 à 400 visiteurs par jour).

(1) www.grandorientarabe.org

• Site officiel de l’Obédience www.goao.org qui travaille au Rite Œcuménique. Ce nouveau rite imaginé par son Grand Maître Mondial Jean-Marc Aractingi se structure sur l’héritage des pères fondateurs, le Rite écossais ancien et accepté de 1804, et s’inspire de l’ancienne maçonnerie musulmane opérative ainsi que des branches initiatiques de l’islam (Soufis, Druzes et Ismaéliens). Il tisse de ce fait un lien fort entre l’Orient et l’Occident et vise à « re-lier » les trois mondes abrahamiques (Judéo-Chrétien et Musulman). Depuis sa création, en 2010, il serait déjà pratiqué par quelques loges en France, dont la loge « Khalil Gibran » à St Cloud, au Moyen-Orient, au Maghreb et en Afrique).
A lire de Jean-Marc Aractingi et G. Le Pape : Rituels et Catéchismes au Rite Œcuménique « Orient et Occident à la croisée des chemins maçonniques », Éditions l’Harmattan Paris, 2011
Source : Secrets initiatiques en Islam et rituels maçonniques, Jean-Marc Aractingi et Christian Lochon, Editions l’Harmattan Paris, 2008

mardi 26 avril 2011

La franc-maçonnerie cherche-t-elle à détruire l’identité arabo-musulmane des Tunisiens?

Qui dit franc-maçonnerie dit globalisation… Est-il vrai que le gouvernement tunisien provisoire est infiltré de franc-maçons?- Nombreuses personnes dédient leurs profils et des groupes qu’elles créent sur la toile à la dénonciation de la franc-maçonnerie. Elles y parlent du temple de Soliman, de la franc-maçonnerie en Tunisie, du nouvel ordre mondial…

Beaucoup de personnes en Tunisie consacrent tant de temps et d’énergie à cette question ! En effet et au moment où l’on tente de reconstruire la Tunisie, nombreux sont ceux qui font de ces questions une priorité. Leur dogme ; protéger l’identité Arabo-musulmane. Or l’Islam est une religion et non pas une identité alors que le caractère arabe est un élément qui s’est ajouté à tant d’autres…

Néanmoins, une paranoïa gagne une grande partie de la population qui se mobilise alors, manifestant, critiquant, hurlant à tue tête, contre la franc-maçonnerie, la laïcité, le sionisme, tous entassés dans le même sac et tous, selon eux, menaçant la révolution tunisienne et son Islam. Et le lien entre satanisme et franc-maçonnerie est bien entendu, toujours évoqué.

On accuse des membres du gouvernement d’être des franc-maçons, et même ceux qui ne le sont pas, subissent des pressions « extérieures » de la part des fervents de cette doctrine « satanique et despote ». Sionistes, Mossad, chevaliers du temps tous… même, ont les yeux tournés vers la Tunisie et attendraient impatiemment de mettre la main « dessus », grâce à la franc-maçonnerie.

Ils décrivent alors une Tunisie sans religion et sans foi, tous les citoyens habillés du même style, obéissant au même ordre, et devenant « les esclaves » d’une grande puissance mondiale… Ils ne manquent pas d’imagination en ce qui concerne ce volet, par ailleurs.

Et la théorie de complot qui nourrit cette imagination, qui alimente cette peur, et qui paralyse par ailleurs toute confiance qui pourrait s’installer entre les dirigeants et les citoyens. On ignore d’où vient cela. Est-ce l’islamisme lequel essayant de s’enraciner en Tunisie, qui a jeté cette poudre aux yeux pour s’allier les citoyens défendant leur « religion menacée » ? Est-ce l’euphorie de Tunisiens qui viennent de découvrir leur citoyenneté et qui veulent la voir progresser indépendante de toute influence étrangère ? Nul ne connait l’origine de ce mal, mais l’on peut être certain, qu’entrer dans pareille paranoÎa, ne pourrait que diviser le peuple entre religieux et moins religieux et partisans d’une identité spécifique et pro-mondialisation, et ne pourra alors qu’entraver la progression vers une vraie démocratie. La Tunisie, sera la seule perdante de ce délire de paranoïa, puisque la « folie » entravera toute tentative de reconstruction… Mais qu’est-ce alors cette « franc-maçonnerie » qui fait tant peur au peuple ?

Franc-maçonnerie, satanisme et sionisme

A la base, la franc-maçonnerie a été créée par les maçons anglais ennoblissant leur métier, puisqu’il s’agissait d’un art, celui de construire. Les maîtres transmettaient leur savoir aux apprentis et que cela constituait un cercle de techniques et de savoir. Ensuite, la notion de la construction a été reprise dans un nouvel ordre, certes, mais on se concentrait plus sur les volets économiques plutôt que ceux religieux, et construisant ainsi un système politique solide et puissant, plus par l’essence d’édifice pragmatique que par des séances d’envoûtement, comme le croit l’imagination populaire.

Sans entrer dans les détails, il y a certes reprise de symbole, entre le satanisme et la franc-maçonnerie, comme l’œil qu’on retrouve sur le dollar et qui est aussi appelé « œil de diable ». Mais cette reprise est celle de la signification du symbole plutôt qu’une adaptation. Ainsi, l’œil de diable observe partout, l’œil de la franc-maçonnerie, ordre qui se veut universel, regarderait aussi partout.

On ne défendrait pas la franc-maçonnerie, mais la diaboliser serait aussi tomber dans l’excès. L’ordre incite ses membres à travailler pour le progrès de l’humanité. Après chaque être humain peut conserver ses spécificités. Plus au delà du musulman, du chrétien, du juif, de l’arabe, dunoir, ou de l’asiatique c’est l’Homme qui est au centre de l’intérêt. Chaque membre aura la latitude de décider sur quel plan et quels aspects sont les plus importants dans le processus du progrès.

Nombreux présidents ont par ailleurs appartenu à la franc-maçonnerie et nombreux y appartiennent aujourd’hui. Ils sont de religions différentes, ils ont des héritages socioculturels différents également, mais leurs objectifs économiques et politiques étant les mêmes, ils ont alors adhéré au mouvement, ou à l’ordre. Des écrivains, philosophes, ministres ont appartenu également à cet ordre. Notons par ailleurs que les pays les plus développés ont été dirigés par des Franc-maçons. La franc-maçonnerie fait peur de par sa puissance, la mondialisation et la globalisation effarouchent les gens qui craignent alors de perdre leurs spécificités, d’être « avalés » par cette société secrète qui fera disparaître leur identité. Le lien qui a toujours été évoqué entre satanisme et franc-maçonnerie. Et le lien, jamais vraiment prouvé, mais souvent évoqué, entre le sionisme et la franc-maçonnerie est également un élément stigmatisant le mouvement.

Mais s’il existe des francs-maçons qui sont sionistes et que par la puissance de l’argent, (puisqu’ils contrôleront l’économie et par la suprématie de la politique, puisqu’ils sont souvent au pouvoir), ils ont pu participer au renforcement de l’Etat d’Israël. Mais cela ne veut nullement dire que le sionisme est la source de la Franc-maçonnerie. Ainsi tous les Francs-maçons ne sont pas sionistes, ni le contraire par ailleurs. Le sionisme étant une idéologie qui, se basant sur la religion et la spiritualité, appelle au droit des juifs à avoir un Etat, notamment en Palestine. Qu’une idéologie ait aidé l’autre à se réaliser ne devrait pas stigmatiser la première, mais soulever sa puissance et son « savoir faire »… Et, finalement, le sioniste devient sectaire et rejette tout le reste.

Des Francs-maçons en Tunisie ?

Nul ne peut trancher s’il existe vraiment des Francs-maçons qui dirigent la Tunisie ou pas. Nul ne peut affirmer ou infirmer que des forces étrangères francs-maçonnes essayent d’influencer le cours des évènements en Tunisie, ni trancher quant à l’existence de la franc-maçonnerie en Tunisie et qu’elle nuirait vraiment à notre pays.

Seulement, si « menace existe », ce n’est nullement en sombrant dans la théorie du complot en mobilisant les gens et en les plongeant ainsi dans la paranoïa, que l’on « sauvera » la Tunisie. D’ailleurs, rien ne menace l’Islam, ni même la franc-maçonnerie. Inutile qu’on proclame sa défense en criant au complot. Si « menace existe », le seul moyen d’échapper au « complot » serait de se mettre au travail, de progresser, d’évoluer pour devenir un pays développé, c’est seulement cela, et rien d’autre que cela qui pourra faire de notre pays une nation moderne, souveraine et maîtresse de son destin. Il n’y a pas d’autre salut, même si cela pourrait prendre des décennies pour y arriver. Et alors la Tunisie, sera à l’abri « des convoitises étrangères » si jamais elles existent. En attendant, c’est aujourd’hui que nous devons y mettre les premières pierres, construire, au lieu de s’auto-détruire en s’entredéchirant dans des débats stériles.

source: Hajer AJROUDI (Le Temps, Tun 24/04/2011

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